Notre héros, le chemin .
Le chemin nous joue des tours. Entre Fromista et Carrion de los condes, il est monotone et sans intérêt.
La plupart du temps nous empruntons un chemin aménagé parallèlement à la route au milieu d'un paysage banal. Rien d'agréable donc. Nos petites oreilles sont en permanence violemment agressées par le bruit des voitures.
Sans oublier un vent froid, violent mais aucunement fripon comme celui de l'ami Brassens : sur le chemin pas de jupon à soulever, seulement des pantalons de randonneurs qui ne font pas fantasmer le pèlerin. Quoique quelques petits shorts auraient sans doute, à son corps défendant, bien entendu, allumé l'oeil coquin du poète si par hasard il s'était posé dans une direction inattendue qu'il ne sied point de nommer ici...nommer ici
Pauvre pèlerin, pauvre misère , Satan rôde sur ton chemin!
Une pause dans cet univers impitoyable : "l'Ermitage de la vierge de la rivière " où nous nous arrêtons quelques instants. Un magnifique tampon, preuve de notre passage, est apposé sur nos crédenciales.
Et hop c'est reparti ! Un pied devant l'autre jusqu'à l'arrivée.
Par chance cela fait 12 jours que nous marchons. Marcher est devenu une sorte de seconde nature, nous avançons à un certain rythme et avalons les kilomètres, un peu comme des automates, quand la nature ne nous fait pas la fête.
Certes, le plaisir se fait plus rare mais nous restons conscients que le bonheur est présent. Il se fait juste plus discret pendant quelques heures.
Ce matin nous quittons Carrion de los condes, en direction de Ledigos 24 kilomètres plus loin.
Nous partons un peu plus tôt que d'habitude et rejoignons vite les pèlerins de 7h30. La plupart porte leur sac. Pas de transporteur pour eux. Ils ont rejoint le chemin à Saint Jean Pied de port. Ils marchent entre 4 km/h et 4 km/h et demi et parcourent entre 25 et 30 km par jour. Il leur faudra environ un mois pour rejoindre Santiago. Ils viennent d'Europe mais aussi des deux Amériques et d'Asie.
Il fait très beau, l'air est à peine frais. À cette heure là nos ombres sont immenses, minces et allongées, de quoi flatter nos ego . Elles s'étirent légèrement à notre gauche. Nous croyons être chaussés de bottes de sept lieues. Nous produisons des foulées d'au moins cinquante mètres !
Les odeurs puissantes des meules de tourbe envahissent nos narines sans réellement les incommoder. Elles font partie du paysage et le rendent plus vivant.
L'heure avance. Les ombres se réduisent et s'installent imperceptiblement à notre droite.
Nous sommes maintenant dépassés par certains pèlerins partis à 8 heures. Les vagues se confondent et deviennent une guirlande sans fin .
Le premier village est à 17 km. Sur le côté, à une heure de marche, un food truck . C'est l'heure du petit déjeuner ou du premier café.
Nous ne nous ennuyons pas. Tout notre corps est en action des pieds à la tête. La locution latine de Descartes, "Cogito ergo sum " - je pense donc je suis- a toute sa place sur le chemin. Il suffit de l'adapter au contexte. Elle pourrait se transformer en "Camino ergo cogito ". Cheminer et penser fonctionnent en parfaite interactivité. Les deux verbes se nourrissent l'un de l'autre.
Je photographie beaucoup le chemin ce matin. En fait c'est lui le héros. Il va nous conduire à notre but. Au bout du chemin, une belle rencontre avec soi-même. Il est notre ami, notre allié, notre confident, le complice, l'instrument de notre quête.
Depuis plusieurs jours nous cotoyons les mêmes marcheurs. Les "buen camino" ont changé de tonalité. Ils s'accompagnent d'un geste amical ou d'un sourire bienveillant.
Étonnant nous longeons un champ de pierres.
Vers 11heures 15, nous avons parcouru les 17 premiers kilomètres. Nous traversons le village.
Et faisons une pause fruits secs en bonne compagnie.
À chaque fois que nous parcourons une distance plus longue, nous hâtons le pas, peut-être par peur de ne pas arriver.
Vers 13h15, nous atteignons l'albergue "La morena". Le cadre est agréable, propice au repos.
À l'entrée des chambres, un planisphère où chacun est invité à indiquer le pays d'où il vient.